Anthologies télévisées : d’Alfred Hitchcock aux Maîtres de l’Horreur

/ Dossier - écrit par riffhifi, le 01/10/2011

Depuis les années 50, les séries dites d’anthologie se succèdent avec plus ou moins de bonheur. Les plus fameuses œuvrent dans la sphère de l’étrange et du suspense : La Quatrième dimension, Les contes de la crypte, Au-delà du réel

Dès les années 50, alors que la télévision n’est encore qu’un média balbutiant, les séries commencent à fleurir : héritières directes des serials cinématographiques et des feuilletons radiophoniques et littéraires, elles privilégient dans un premier temps un format que les anglo-saxons affectionnent, et dont le succès ne se démentira jamais : l’anthologie. Le principe est simple : rassembler une collection d’histoires qui partagent un même esprit (généralement l’étrange, l’épouvante ou la science-fiction), et leur attribuer un générique et un présentateur commun. Pas de personnages récurrents, pas de continuité… et pourtant, ces séries possèdent généralement une identité très forte, et certaines ont duré plusieurs années, connaissant parfois des reprises à quelques décennies d’intervalle. Sans prétendre à l’exhaustivité, passons en revue les plus remarquables des anthologies.

Les années 50-60 : Hitchcock contre le surnaturel


Alfred Hitchcock présente
En 1955, Alfred Hitchcock est déjà le réalisateur des 39 marches, de Rebecca, de La Corde et de L’inconnu du Nord-Express. Même si certains de ses plus grand succès restent à venir, sa notoriété est largement suffisante pour lui valoir le titre de Maître du Suspense, et pour lancer une série sur son seul nom. Alfred Hitchcock présente, comme son titre l’indique, bénéficie à chaque épisode d’une introduction par le cinéaste en personne, mis en scène dans diverses situations incongrues ; sur les sept années que durera l’anthologie, Hitchcock réalisera lui-même 17 épisodes. Au gré des saisons, on croise bon nombre d’acteurs célèbres (Claude Rains, Joseph Cotten, Michael Rennie) ou prometteurs (Charles Bronson, Roger Moore, Steve McQueen). Du côté de l’écriture, on trouve les noms de Ray Bradbury, Roald Dahl, Robert Bloch (futur scénariste de Psychose), et le duo formé par Richard Levinson et William Link, qui deviendront les créateurs de Columbo. Le générique culte, avec la musique de Gounod et la silhouette du gros Hitch, la présentation goguenarde des histoires (les spectateurs français avaient parfois droit à un texte déclamé dans la langue de Molière par le producteur ventripotent et multilingue) et l’efficacité des épisodes de 25 minutes ont permis de préserver à la série sa fraîcheur et son aura. En 1985, une reprise est produite par Universal TV pour les spectateurs friands de couleur. La plupart des épisodes sont donc de simples remakes de la série originale, et les séquences de présentation sont des versions colorisées des prestations d’époque d’Hitchcock, décédé en 1980. La chose durera quatre saisons.

La deuxième série séminale en matière d’anthologie, on la doit au scénariste-producteur Rod Serling : La Quatrième dimension, lancée en 1959, s’attache à de curieuses fables teintées de surnaturel, d’absurdité ou parfois de science-fiction. Elles sont présentées par Serling lui-même, le visage contrit sous ses épais sourcils. « There is a fifth dimension beyond that which is known to man. It is a dimension
La Quatrième dimension
as vast as space and as timeless as infinity. It is the middle ground between light and shadow, between science and superstition, and it lies between the pit of man's fears and the summit of his knowledge. This is the dimension of imagination. It is an area which we call… the Twilight Zone. »
On note que dans la version originale, la “twilight zone” (zone crépusculaire) est située dans la CINQUIEME dimension, et non dans la quatrième. La série durera cinq saisons, puis inspirera en 1983 la mise en chantier d’un film par Steven Spielberg. Il le coréalisera avec John Landis, George Miller et Joe Dante, proposant ainsi quatre histoires aux tons différents. Deux ans plus tard, une reprise de la série réunit quelques réalisateurs de renom : Wes Craven, Atom Egoyan… et Joe Dante, à nouveau. Sortie en France sous le titre La Cinquième dimension (eh ben voilà), elle durera jusqu’en 1989. En 2002, une nouvelle tentative verra le jour (appelée en France La Treizième dimension, par des programmateurs fous dans leur tête) ; cette dernière, malgré une présentation assurée par Forrest Whitaker, ne connaîtra qu’une seule saison.

En parallèle de la Quatrième dimension, plusieurs séries surfent elles aussi sur la vague du surnaturel et de l’étrange. Lancée quasiment en même temps, One Step Beyond ne connaîtra que deux saisons, probablement laminée par le succès de sa concurrente directe (voir le texte d’introduction, sensiblement similaire : « What you are about to see is a matter of human record. Explain it: we cannot. Disprove it: we cannot. We simply invite you to explore with us the amazing world of the Unknown ... to take that One Step ... Beyond. »).

Créée par le célèbre scénariste et romancier Roald Dahl en 1961, ‘Way out est également destinée à une courte carrière, en raison de ses intrigues trop cyniques et horrifiantes pour le public de l’époque.


Davantage axée sur la science-fiction, Au-delà du réel (The Outer Limits, 1963-1965) propose dans chaque épisode un monstre mémorable (surnommé « l’ours de la semaine » par l’équipe de la série), évoluant dans un scénario plus ou moins subtil qui permet d’assener au spectateur une leçon de morale sentencieusement débitée par la Control Voice. Celle-ci, véritable narratrice de la série, ouvre le générique par ces mots : « There is nothing wrong with your television set. Do not attempt to adjust the picture. We are controlling transmission. If we wish to make it louder, we will bring up the volume. If we wish to make it softer, we will tune it to a whisper. We can reduce the focus to a soft blur, or sharpen it to crystal clarity. We will control the horizontal. We will control the vertical. For the next hour, sit quietly and we will control all that you see and hear. You are about to experience the awe and mystery which reaches from the inner mind to... The Outer Limits. » Après deux saisons, la série prend fin. Mais en 1995, pour emboîter le pas au succès d’X-Files et de ses mystères « aux frontières du réel », le producteur Leslie Stevens entame une reprise à grand coups de guest stars (Amanda Plummer, Leonard Nimoy, David McCallum, Charlton Heston) et d’intrigues cross-overs. Le résultat est séduisant, au point de durer… sept saisons, soit cinq de plus que l’original. Un phénomène rare dans l’histoire des remakes télévisés.

Les années 70 : cop stories

Les années 70 ne comptent pas de séries d’anthologie majeures. De 1969 à 1973, Rod Serling tente bien d’égaler sa propre Quatrième dimension avec Night Gallery, mais celle-ci ne marque pas les esprits et ne sera pas importée en France. On note tout de même qu’un certain Steven Spielberg y fait ses débuts de réalisateur !

De 1971 à 1973, Les rivaux de Sherlock Holmes propose une anthologie sous un
titre fédérateur : aucune trace du détective de Baker Street dans cette série policière où l’on croise Jeremy Irons, Donald Pleasence, Douglas Wilmer, Michael Gough. Les scénarios sont des adaptations de nouvelles datant de l’époque victorienne, ce qui explique l’allusion holmésienne.

Créée par Brian Clemens, maître d’œuvre de Chapeau melon et bottes de cuir, Angoisses (Thriller, 1973-1976 – mais diffusée en France en 1977) mélange allègrement toutes sortes de récits à suspense, du fantastique au récit policier, en passant par l’espionnage.

Recyclant le principe d’un court programme de 1952, Police Story (1973-1977) n’a rien à voir avec le film homonyme de Jackie Chan, et raconte de véritables histoires policières, dramatisées pour les besoins du spectacle.

Les années 80-90 : l’horreur et le fantastique

Après une tentative avortée en 1977, Roald Dahl (encore lui !) revient à la charge en 1979, réussissant cette fois à faire décoller sa série d’anthologie personnelle : Bizarre, bizarre (Tales of the Unexpected). Celle-ci durera jusqu’en 1988, recyclant parfois des histoires de l’auteur déjà portées à l’écran, notamment Poison qui constituait un épisode d’Alfred Hitchcock présente.

En 1980, la firme anglaise Hammer se tourne vers la télévision après le déclin de sa popularité cinématographique. Ses récits d’épouvante stylés sont donc narrés dans les séries La maison de tous les cauchemars (Hammer House of Horror), puis Histoires singulières (Hammer House of Mystery and Suspense, 1984-86). Une façon tardive de venger l’échec de leur série morte-née de 1958, Tales of Frankenstein (qui, malgré son titre et son pilote, devait bien être une anthologie sans rapport particulier avec Frankenstein).

En 1985, outre les reprises déjà mentionnées de La Quatrième Dimension et Alfred Hitchcock présente, deux nouvelles séries d’anthologie voient le jour : d’une part, la simplement nommée Ray Bradbury présente, qui offrira des histoires de l’auteur durant six saisons ; et Histoires fantastiques (Amazing Stories, 1985-1987), produite par Steven Spielberg avec un solide collectif de réalisateurs. Clint Eastwood, Joe Dante, Robert Zemeckis ou encore Martin Scorsese assurent un
Les contes de la crypte
spectacle familial souvent enchanteur.

A la fin des années 80, la tendance est à l’horrifique. D’abord avec Vendredi 13 (1987-1990), qui ne présente aucun lien de parenté avec la saga de Jason Voorhees. Ensuite avec Les cauchemars de Freddy (1988-1990), qui en revanche est bien en rapport avec les exactions de Freddy Krueger (toujours joué par Robert Englund, celui-ci présente les épisodes à l’aide de blagues douteuses) ; le pilote est réalisé par Tobe Hooper, et un des épisodes par Englund lui-même. Enfin avec Les contes de la crypte (Tales From the Crypt, 1989-1996), inspiré des comic books édités par la firme EC dans les années 50. Au menu des réalisateurs : Richard Donner, Robert Zemeckis, Freddie Francis, Russell Mulcahy, Tom Hanks, Arnold Schwarzenegger, Michael J. Fox, Bob Hoskins… La musique envoûtante du générique est signée Danny Elfman, et les épisodes à l’humour mordant sont présentés par une marionnette de zombie adepte du rire hystérique. Le succès de la série est telle qu’elle est déclinée en téléfilms et… en dessin animé pour le jeune public (!), sous le titre Crypte Show.

En 1993, John Carpenter décide d’entrer dans la danse, et convie Tobe Hooper et Mick Garris à la réalisation du pilote de Body Bags, sous-titré chez nous Petits cauchemars avant la nuit. Carpenter, en employé de morgue, assure la présentation des histoires. Malgré un bon mauvais esprit et la présence de cinéastes en guest stars (Wes Craven, Sam Raimi, Roger Corman), la série ne dépasse pas le stade de ce pilote.

Présenté comme une version australienne de Bizarre, bizarre (mais sans rapport avec Roald Dahl), Histoires peu ordinaires (Twisted Tales, 1996) met en scène quelques acteurs du coin comme Richard Roxburgh, Geoffrey Rush ou encore Shane Briant. Expériences interdites (Perversions of science, 1997), pour sa part, donne dans la science-fiction pure et dure, mais ne connaît qu’une seule saison.

Les années 2000 : le prestige des auteurs

Frustrés par Body Bags, ses scénaristes Billy Brown et Dan Angel lancent Les Nuits de l’étrange (Night Visions) en 2001, et parviennent à faire produire une saison entière. Mais pas plus, malgré la présence derrière la caméra de routards de l’anthologie comme Joe Dante et Tobe Hooper.


DR.
En 2005, l’annonce de Masters of Horror a de quoi émoustiller : une sélection de cinéastes reconnus pour leur apport au cinéma d’épouvante est réunie pour une collection d’épisodes de 50 minutes, pour lesquelles la production leur donne carte blanche. Les noms avancés n’ont pas tous la même légitimité au titre de "maître de l’horreur", mais ils donnent envie : John Carpenter, Tobe Hooper, Joe Dante, Don Coscarelli, John Landis, Dario Argento, Stuart Gordon… Bizarrement, la qualité de la série s’avère très inégale, et la plupart des épisodes donnent l’impression qu’ils auraient été meilleurs dans un format 25 minutes.

Sous le titre Rêves et cauchemars (Nightmares and Dreamscapes), Stephen King parraine huit épisodes d’une série fantastique en 2006, diffusés en France dès 2007 sur TPS Star. Destinée à connaître également une courte existence, Masters of Science-Fiction naît et meurt en 2007, le temps de laisser six épisodes ; présenté par Stephen Hawking, la série au titre mensonger n’exhibe pas de véritable ténor à la réalisation ni à l’écriture (un des épisodes est adapté de Robert Heinlein, mais c’est le seul "master" identifiable).

En 2008, Fear Itself prend le relais de Masters of Horror, offrant de nouveaux épisodes à John Landis et Stuart Gordon, tout en invitant les plus modernes Darren Lynn Bousman (Saw II, III, IV) et Ronny Yu (La Fiancée de Chucky, Freddy vs. Jason) à la fête.


En attendant de nouvelles collections d’histoires surprenantes, choquantes, stimulantes, décernons quelques prix aux contributeurs les plus actifs du genre : le réalisateur Joe Dante, qui a tourné des épisodes dans quatre séries d’anthologie (La Cinquième dimension, Histoires fantastiques, Les Nuits de l’étrange et Masters of Horror) ; son confrère Tobe Hooper, qui en a alimenté six (Histoires fantastiques, Les Cauchemars de Freddy, Body Bags, Les Contes de la crypte, Les Nuits de l’étrange et Masters of Horror) ; et le regretté Roald Dahl, dont les histoires et les efforts de producteurs ont fourni la matière à quatre décennies (CBS Television Workshop, Lux Video Theatre, The Philip Morris Playhouse, Suspicion, Alfred Hitchcock présente, ‘Way Out, Late Night Horror et Bizarre bizarre).