Deadwood
Séries & TV / Critique - écrit par JC, le 21/02/2006 (Tags : deadwood saison park ville saisons series city
David Milch a réussi son pari, un récit non consensuel qui prend aux tripes le téléspectateur face à sa vision de l'Amérique, funeste et décadente.
Les peaux rouges sont rouges, les hématomes sont bleus, Deadwood est fichtrement noir. Une introduction de critique qui fleure le manque d'inspiration pour une série qui en revanche comble pas mal d'aspirations sériephiles...
Nous sommes en juillet 1876, l'Amérique s'agrandit dans le cadre de ce qu'on appelle la Conquête de l'Ouest. Dans le futur Dakota du Sud, dans les Black Hills, en plein territoire apache, un camp de chercheurs d'or voit sa population augmenter. Aspirants prospecteurs, fugitifs, prostituées en quête de nouveaux michetons, toute la populace qui arrive à Deadwood espère connaître sinon un futur radieux, une perspective plus clémente.
Signé David Milch (le créateur de NYPD Blue), Deadwood est un drama historique arrivé en mars 2004 sur HBO, la fameuse chaîne du câble américain qui a vu déferler sur son antenne Sex and the City, Les Sopranos, Oz et Six Feet Under.
Le taulier Swearengen
Comme pour Band of Brothers ou Rome, la série mélange personnages réels et fictifs. L'histoire débute lorsque Seth Bullock, marshall du Montana, décide de laisser choir son insigne et de tenter l'aventure d'ouvrir une quincaillerie dans Deadwood en compagnie de son ami Sol Star. En même temps que ceux-ci, le téléspectateur découvre la faune locale, les prostituées, les prospecteurs, les célébrités de passages comme Calamity Jane ou Wild Bill Hicock et le maire officieux de la ville, Al Swearengen. Installé depuis 6 mois, il fut l'un des premiers arrivants du camp à ne pas prospecter pour une alternative moins éreintante et presqu'autant lucrative : être le dealer officiel de whiskies, d'opium et de filles à travers son saloon, le Gem.
Al Swearengen
(© 2007 CBS Studios Inc.
All Rights Reserved.)Al Swearengen est donc le parrain de la ville, il est incarné par le comédien anglais Ian McShane (Golden Globe 2005 du meilleur acteur pour un rôle principal dans un drama) qui a usé les plateaux tv et ciné britanniques. Disons-le tout net, sa performance est du genre à laisser bouche bée et à vouloir monter le son à chacune de ses apparitions. Il est un des méchants les plus fascinants que le petit écran ait jamais porté. A la fois effrayant et profondément humain, cruel et néanmoins sympathique. Un talent entre attraction et répulsion qui fait un peu d'ombre au jeu des autres comédiens, sans pour autant les éclipser totalement.
Outre ces comédiens honnêtes, la reconstitution est frappante de réalisme, mettez un épisode de Deadwood et zou ! direction l'Ouest américain de la fin du XIXème siècle. Une immersion renforcée par une réalisation sobre mais intense.
Une reconstitution et des comédiens de talents qui font qu'on oublie que Deadwood comporte des défauts... Derrière la belle reconstitution, la réalisation crépusculaire, le jeu des acteurs, certains passages, ceux qui jouent le plus dans la catégorie "drama" traditionnel sont un tout petit peu ch*ant... Difficile de se sentir touché par les affres sentimentales de Seth Bullock partagé entre deux femmes, ou de la relation Sol Star/Trixie comparé à ce qui se trame vraiment dans la ville de Deadwood.
Wild Wild West
Al Swearengen et Seth Bullock
(© 2007 CBS Studios Inc.
All Rights Reserved.)Dans une interview accordée à Hugo Cassavetti pour le Télérama de la semaine du 11 février 2006, Ian McShane résume cela : "Deadwood n'est pas qu'un simple western. Il s'agit juste d'un contexte idéal pour décortiquer les relations humaines et les rapports de force aux balbutiements d'une société". Ce qui se trame vraiment dans Deadwood, c'est donc la naissance d'une nation avec tout le bruit et la fureur que ceci implique. Car si on parcoure les livres d'histoire, bien peu de nations sont nées autour d'une table, tranquille, à la fraîche... En tout cas pas les Etats-Unis d'Amérique. Ce thème déjà exploré par Martin Scorcese avec son long métrage Gangs of New York, David Milch s'y enfonce pioche à la main pour un superbe leçon d'histoire télévisuelle.
Deadwood n'est bon que par sa violence. Pas la violence gratuite, mais la violence qui cimente la gestation d'une société. Peut-être incongru à la lecture, en tout cas bizarre à l'écriture, cette assertion montre que David Milch a réussi son pari, son "grand roman" pour reprendre encore une fois McShane, un récit non consensuel qui prend aux tripes le téléspectateur face à la vision de l'Amérique de l'auteur, funeste et décadente.
Eh oui, Deadwood n'est pas un Santa Barbara situé dans l'Ouest américain, c'est la naissance d'une nation dans un bled paumé du futur Dakota du Sud. Un drame politico-historique exigeant, véritable radioscopie des Etats-Unis d'alors, qui remet en cause à la fois la vision puritaniste que le monde se fait de l'Amérique et que l'Amérique se fait d'elle-même. Une série d'auteur comme l'ont été Twin Peaks, Six Feet Under ou Le Prisonnier, imparfaite, difficile d'accès, mais à "valeur ajoutée" pour le téléspectateur qui osera poursuivre... pour son plus grand plaisir.