8/10Engrenages - Saison 1

/ Critique - écrit par JC, le 28/12/2005
Notre verdict : 8/10 - Une série bien huilée (Fiche technique)

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Prenante, nerveuse, froide, sèche, Engrenages est à la hauteur de ces ambitions.

Paris. Une jeune femme est retrouvée morte dans une benne à ordure, nue, le visage affreusement mutilé. Voici la scène d'ouverture d'Engrenages, mini-série de huit épisodes et nouvel avatar de la politique du département fiction française de Canal+ initiée jusque là avec des téléfilms tels que 93, Rue Lauriston (sur la gestapo) ou Nuit noire (sur la manifestation du FNL du 17 octobre 1961) ; des productions hexagonales ultra-réalistes et dures rompant avec le tout aseptisé, lieu commun des programmes de même type diffusés par la concurrence.

La scène d'ouverture d'Engrenages
La scène d'ouverture d'Engrenages (© Canal+)
Créée par une ancienne avocate Alexandra Clert sur demande de son père Alain à qui on doit Avocats et Associés, Engrenages cherche à quitter le sacro-saint modèle du scénario bouclé en fin d'épisode, du happy-end traditionnel, du personnage principal à qui rien n'échappe entouré de ses seconds couteaux de coéquipiers. La série veut montrer à quel point la Loi est difficile à appliquer pour une "machine" constituée d'être humains aux fonctions bien définies. De simples maillons indépendants de la chaîne "Justice" mais pour laquelle chacun de leurs actes a des conséquences sur l'ensemble des instructions et des enquêtes.

Pour donner corps à cette histoire, les scénaristes Guy-Patrick Sainderichin et Laurence Diaz ont imaginé une "arche narrative" (une intrigue fil rouge) sur l'ensemble des épisodes autour d'un meurtre, celui d'Elina Andrescu, une étudiante d'origine roumaine et escort-girl dans les hautes sphères parisiennes à ses heures perdues. Parallèlement les dossiers les plus sordides s'enchaînent : bébé trucidé, maltraitance infantile, réseau exploitant des sourd-muets, etc.
Tous inspirés de faits réels ces sujets sont présentés de façon âpre en se permettant dans leur traitement de jouer avec le téléspectateur et la morale. Certaines de ces histoires restent parfois non élucidées ou pis, d'autres sont mal résolues. Une façon de souligner encore l'impuissance de la Loi dans divers cas et le désir de briser définitivement tout lien avec la fiction judiciaire "à la papa".

Le substitut du procureur Pierre Clément et la capitaine de police Laure Berthaud
Le substitut du procureur Pierre Clément et
la capitaine de police Laure Berthaud (© Canal+)
Dans Engrenages rien n'est infaillible et parfait, surtout pas les personnages qui ne sont que des hommes et des femmes dans toute leur ambiguïté avec leurs fêlures, leurs idéaux et leurs défauts. Ils sont six, Joséphine Karlsson l'avocate arriviste et vénéneuse, François Roban, le juge d'instruction inflexible, Laure Berthaud, le capitaine de police intègre et frondeur, ses coéquipiers les lieutenants Fromentin et Gilles Lemaire, et enfin Pierre Clément, jeune substitut du procureur tout juste nommé dont les illusions s'étioleront au fur et à mesure qu'il se perdra dans les engrenages de la Justice.

Des enquêtes à tiroirs d'une noirceur suffocante, des personnages à multiples facettes, Engrenages affiche son ambition de complexité et de rupture par rapport à la série judiciaire française classique. La réalise-t-elle ? Oui. En partie.

Si les personnages sont fouillés et incarnés par des comédiens de talent, le substitut du procureur et l'avocate sont peut-être en dessous. Pas au niveau strict de leur jeu mais à cause, pour lui, de la relative fadeur du personnage et de son implication indirecte un peu facile dans l'enquête principale, pour elle par son utilisation limite ubiquiste par les scénaristes. Autre facilité pour ces derniers : opter presque exclusivement pour des affaires où sexe et violences sont la norme. Un brin racoleur.

Le juge d'instruction François Roban et l'avocate Joséphine Karlsson
Le juge d'instruction François Roban et
l'avocate Joséphine Karlsson (© Canal+)
Cela n'empêche pas Engrenages d'être diablement immersive, une fois pris dedans difficile d'en sortir. Une addiction renforcée par une mise en scène de bonne facture et un montage vif servant une écriture narrative de haute volée. On pourra lui reprocher des effets comme des zooms de transition ou des rotations de caméra tape-à-l'oeil, cependant par l'utilisation d'une photographie aux tons cliniques et glauques qui préfère la lumière naturelle aux projecteurs, la série gagne une identité visuelle en concordance avec son propos. L'ensemble formant un tout très cohérent.

Prenante, nerveuse, froide, sèche, Engrenages est à la hauteur de ces ambitions malgré des gimmicks de jeunesse qu'on espère voir disparaître dans la prochaine saison actuellement en cours d'écriture. Engrenages, une série où rien n'est simple à l'image de la Justice, voilà qui fait tout son charme.