5.5/10Totale Impro

/ Critique - écrit par JC, le 03/01/2006
Notre verdict : 5.5/10 - Totalement moyen (Fiche technique)

Tags : impro totale improvisation theatre emission festival france

Totale Impro : un concept intéressant et des comédiens sympa mais une mise en scène vulgaire et neuneu assurée par Benjamin Castaldi.

Tiens depuis la rentrée 2005, les samedis après-midi de M6 ont pris une drôle d'allure. Celle de la nouveauté. Après les multi-rediffusions de séries comme John Doe, X-Files ou Kaamelott, la chaîne propose un programme inédit aux alentours de 17h30 : Totale Impro. Une "comédie d'un nouveau genre" pour reprendre les mots de M6, entre sitcom et improvisation.

L'impro' un genre en vogue en France depuis la fin des années 90 grâce à des comédiens issus de cette école comme Jamel Debbouze et aussi par la télé-réalité et son besoin d'une telle forme de jeu dans sa quête de mélange entre réel et scénarisation. En témoigne les cours suivis par les apprenties étoiles des Star Academies ou le récent Mon Incroyable Fiancé et son anti-héros interprété par Laurent Ournac.

Un peu d'histoire

Historiquement, dater l'improvisation en général reviendrai à dater le mensonge. Difficile. Dater l'improvisation comme forme théâtrale codifiée est plus aisé, Christophe Tournier, auteur du Manuel d'improvisation théâtrale, propose le IIIème siècle avant J.C. et la comédie atellane de Rome. C'est vers l'Italie qu'il faut encore chercher l'ancêtre direct du genre tel qu'on le connaît, avec la Commedia Dell'Arte née au XVIème siècle. Après 200 ans de succès dans toute l'Europe, elle laissera sa place à un théâtre moins populaire, plus huppé, plus mondain.

Un péché d'orgueil qui au milieu du XXème siècle a poussé des professionnels à proposer des modèles alternatifs plus spontanés. Parmi les plus importants, on citera le Britannique Keith Johnstone, les Américains Viola Spolin et son fils Paul Sills, et surtout les Québécois Robert Gravel et Yvon Leduc fondateurs de la première ligue d'impro au Monde, la LNI (Ligue Nationale d'Improvisation), et inventeurs des matches d'improvisation en 1977.

Un "sport" calqué sur le hockey sur glace dans lequel deux équipes de six joueurs soutenues par leur coach respectif doivent improviser des sketches d'après les thèmes tirés au sort par l'arbitre. Des thèmes que les participants doivent intégrer à leur jeu en seulement vingt secondes. Une patinoire sans glace (sic) délimite l'aire de jeu. Toutes ces joutes sont propices aux délires et divagations les plus drôles et tordues. L'interaction avec le public est totale : il vote, il hue, il hurle, il rie dans un joyeux foutoir. Le succès est foudroyant dans la Belle Province, si bien que dès 1982 des matches sont retransmis à la télévision.

Le principe

De l'interactivité, de l'humour, un genre dans le vent bref une mine d'or pour les producteurs tv comme Benjamin Castaldi. Entre un énième test de Q.I. et une mouture de la Nouvelle Star, l'ex-présentateur de Loft Story a donc décidé de mettre de l'impro dans le paysage audiovisuel français en adaptant Schillerstrasse, une émission allemande qui fait de belles audiences le dimanche soir à 20h15 sur la chaîne Sat 1. Le principe est simple : rendre l'improvisation télégénique en la mélangeant au schéma classique de la sitcom pour créer "une comédie d'improvisation".

De la sitcom, on retrouve le traditionnel groupe à la Friends et leur point de rendez-vous. Le "Central Perk" de Totale Impro se situe dans l'appartement de Sören (Prévost) et Noémie (Delattre), frère et soeur. Elle est avocate, un peu mal dans sa peau, il est comédien au chômage et franchement oisif. Autour d'eux gravitent Arnaud (Gidoin) un ami de Sören, Tatiana (Goussef), Alain (Bouzigues), Edith (Cochrane) des amis de Noémie, et la gardienne d'immeuble envahissante Catherine (Benguigui).

Un canevas narratif sur lequel l'improvisation se brode. Chaque émission se compose de deux épisodes de 26 minutes tournés en public . Les comédiens ne connaissent que les caractéristiques de leurs personnages et le court "pitch" que Benjamin Castaldi aura daigné leur donner, du type : "c'est le réveillon, vous prenez vos bonnes résolutions pour 2006". L'animateur-producteur ne se contente pas de donner des lignes de scénario en début de pièce, il participe aussi activement à l'élaboration de l'intrigue par le truchement d'un système d'oreillettes. Tous les acteurs en portent une et à tout moment Benjamin Castaldi, véritable metteur en scène, peut leur donner un ordre individuel ou collectif, des indications qu'ils doivent intégrer dans leur jeu rapidement et avec naturel.

Viens voir les comédiens

Ce genre de défi nécessite la présence de comédiens imaginatifs dotés d'un sens de la répartie particulièrement aiguisé. Pour cela M6 a fait appel à sept acteurs : Catherine Benguigui (H/Canal+), Alain Bouzigues (Caméra Café/M6), Edith Cochrane (Caméra Café/Québec), Noémie Delattre (Arrête de pleurer Pénélope, pièce de Christine Anglio, Corinne Pujet et Juliette Arnaud), Arnaud Gidoin (On a tout essayé/France2), Tatiana Goussef (Laisse tes mains sur mes hanches, film de Chantal Lauby) et Sören Prévost (la France d'en face/Canal+).

Un casting avec une expérience certaine mais dont beaucoup de membres se révèlent soit transparents à cause de leur rôle de sous-fifres, soit irritants à cause d'un cabotinage excessif. Au rayon transparence, citons Alain, Catherine, Noémie et Tatiana, creux et mis sur la scène pour lancer quelques vannes en satellites des autres personnages. Du côté cabotin, il y a un seul nom, celui d'Arnaud Gidoin qui a une verve et une répartie incontestable mais de là à les qualifier de bonnes...

Dans la troupe, deux comédiens s'en sortent plutôt bien : Edith Cochrane et Sören Prévost. Ce dernier cabotine aussi mais à un degré moins fort que le personnage d'Arnaud. Qui plus est, il amène souvent bien les éléments soufflés par Benjamin Castaldi dans son oreillette. Chose qu'il partage avec Edith Cochrane, Québécoise et star de l'impro là-bas depuis 1996. Son jeu est fin, on sent la maîtrise de son art. Lorsqu'un ordre aussi incongru que "Dit que tu as vomi sur la télévision hier soir" lui est susurré, elle prend son temps et construit son récit au lieu de s'en débarrasser le plus rapidement possible.

"Dit que tu as vomi sur la télévision hier soir"... C'est bien souvent le niveau des interventions transmises par Benjamin Castaldi a ses comédiens. Voilà le gros défaut de l'émission, le pipi-caca de cour de récré. Ainsi on pardonne bien aux comédiens des interprétations parfois balourdes, difficile de faire du Rostand avec un metteur en scène digne des films des Charlots. On en vient même à compatir avec un personnage comme celui de Noémie a qui souvent échoit ceci : "Tu as fait pipi dans ta culotte (ou ta culotte fait grève). Joue le tout en intériorisation".
Un niveau vraiment déplorable qui plombe un concept hybride alléchant entre la sitcom et le théâtre d'improvisation.

Conclusion

Totale Impro est un paradoxe. Son propre créateur Benjamin Castaldi fait tout ce qui en son pouvoir pour la détruire qualitativement. Les acteurs composent difficilement avec tout ça mais demeurent sympathiques pour peu que l'on ait de l'empathie. Et même s'il s'agit d'une émission très moyenne, elle arrive à être attractive par son mérite premier : mettre le théâtre sur le devant de la scène. Pas sous son meilleur jour il est vrai, mais elle le fait et c'est déjà bien alors que le service public essaie depuis des lustres de rendre attrayant cet art vivant par essence. Sans y parvenir.

En France des centaines de ligues d'improvisation existent, si Totale Impro peut les mettre en lumière et leur apporter un public ce sera déjà beaucoup. Cela en attendant pourquoi pas, la diffusion de vrais matches d'impro' à télévision française...