8.5/10Profit

/ Critique - écrit par gyzmo, le 09/01/2007
Notre verdict : 8.5/10 - Au pays de Profit (Fiche technique)

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Ovni de la télévision américaine, voilà un programme tout à fait bluffant mettant en lumière le cynisme.

"On ne devrait pas s'étonner lorsque même le plan le plus élaboré échoue. Après tout, les êtres humains ne sont pas des machines. Ils ont une âme. Ils connaissent le bonheur suprême et le chagrin inconsolable. Ce que j'admire le plus chez certains, c'est la façon dont ils se passionnent pour des choses qu'ils ne pourront jamais avoir. Ils commencent par envahir les pensées de l'autre... Quiconque pense que contrôler les gens est une science a complètement tort. C'est un art".

A l'heure où le sociopathe Morgan est parvenu à capter l'attention d'un public américain aux appétits décidément incompréhensibles, il conviendrait presque de se souvenir d'un point marquant de la décennie précédente. Avril 1996 : un énergumène analogue à notre médico-légiste fût jugé poison mortel par les téléspectateurs d'outre-atlantique. Après seulement 90 minutes de pilote et trois petits tours de pistes sur la chaîne du renard, la série Profit est ainsi expulsée du poulailler. Un carnage retentissant pour l'époque. Mais en contrepartie, un mythe se profile à l'horizon. Celui d'un anti-héros par excellence que l'Amérique refuse de voir triompher, descendant direct du Richard III de Shakespeare et germe cathodique du duo Greenwalt / McNamara, producteurs et scénaristes des séries plus ou moins miteuses que sont Loïs et Clark ou Buffy contre les Vampires.

Jim Profit, sans armes mais dangereux
Jim Profit, sans armes
mais dangereux...
Profit. Un patronyme diablement approprié qu'a choisi Jim, vous ne trouvez pas ? Au fait, vous connaissez Jim ? Non ? Oh ! Quel dommage ! Ce jeune employé fraîchement promu à la direction des acquisitions est pourtant une valeur prometteuse de la multinationale Gracen&Gracen ! Un parcours universitaire irréprochable, un esprit brillant dans un corps athlétique, sourire ultra bright et perfect brushing. Une crème, je vous dis ! Enfin, c'est ce que son curriculum expose aux yeux du monde. Ne le répétez pas mais derrière cette devanture tout à fait charmante, des bruits de couloirs disent avoir entendu des choses à son compte bien plus proches des lames acérées du Bateman de American Psycho que des habituelles dents longues du louveteau à la Fox du film Wall Street. Enfance tordue, aversion contre la télévision nourricière, béguin du carton d'emballage G&G, complexe d'oedipe (voire plus si affinités), esprit calculateur et soif de pouvoir définiraient le mieux les contours de sa véritable personnalité. Sous ses airs angéliques, Jim aurait donc pour dessein d'atteindre le sommet de la hiérarchie sans trop se soucier des frontières du cynisme. Tout cela depuis sa cache d'ombre d'où tirer les ficelles, si possible. « Psychopathe discret » est d'ailleurs la désignation qui lui siérait le mieux. Evidemment, ces rumeurs restent à prouver... Car la belle apparence est tenace, et placardée en pleine lumière avec beaucoup de dextérité.

Pasdar, l'acteur précieux qui endosse le costume centré de ce yuppie - et joue également le politicien Nathan Petrelli dans la série Heroes (2006) - supporte la charge imposante de son personnage sur de solides épaules, à l'origine un clin d'oeil au Mel Profitt de Spacey, le jumeau désaxé d'Un Flic dans la Mafia (1987) - autre série culte mettant en scène un héros tourmenté par ses démons. Les créateurs de Profit ont au final laissé le champ libre à Pasdar pour s'approprier le rôle. Conséquence de cette assurance : son interprétation, minimaliste et sobre, charpente un des Machiavels les plus intéressants de l'histoire du drama. En effet. Pas de manichéisme, ni n'expressions caricaturales dans son approche intelligente du névrosé ambitieux. Tout est contenu, et calculé pour l'être. Sa voix calme et voluptueuse, en off, fait des merveilles lorsqu'il s'agit de cerner l'adversaire, expliquer sa pensée ou induire en erreur le spectateur. Et si la plupart des méthodes employées par ce monstre stratège le rendent méprisable, en filigrane, une sympathie déroutante parvient tout de même à se dégager de cette entité pernicieuse. Ses regards caméra complices, son humour noir délectable (et affirmé tout au long des épisodes), et son aptitude à faire du bien aux autres (et dans l'unique optique de servir ses propres intérêts, la fin justifiant toujours les moyens), font de Jim Profit un protagoniste complexe, imperceptible, inclassable. Un des rares à pouvoir provoquer à la fois sueurs froides et ovations... pour peu que l'on soit client du style, il va sans dire.

... surtout avec une seringue en fait.
... surtout avec une seringue en fait.
Produit typique des années 90, l'esthétisme de Profit n'échappe malheureusement pas aux égratignures du temps. L'interface informatique de Gracen&Gracen, par exemple, était sûrement visionnaire pour l'époque, mais aujourd'hui, non dénuée d'une certaine classe, elle prête à sourire (aux éclats). Il convient également de souligner qu'à l'instar de nombreuses oeuvres littéraires et cinématographiques qui l'ont devancé, Profit se farde d'une critique traditionnelle du capitalisme américain (et de ses dérives). Rien de bien nouveau dans le concept. Sauf que la série de Greenwalt et McNamara est une première en télévision et s'extirpe du commun en se focalisant sur un personnage principal autant pourri, pour ne pas dire plus, que tous les autres vauriens secondaires de Gracen&Gracen réunis. Une pieuvre géante dans un immense panier de crabes, en d'autres termes. Avec un casting aussi cauchemardesque (et vraiment impeccable niveau interprétation), chaque épisode est un chef-d'oeuvre de manigances et de coups tordus dont les effets s'étendent bien au-delà de la firme, allant jusqu'à altérer les entrailles familiales, sulfureuses à outrance, et raison principale pour laquelle Profit fût dénigré par une majorité de téléspectateurs américains un tantinet pudibonds. L'impertinent Jim Profit et toute sa clique ont su cependant séduire le public français de Canal Jimmy, probablement le seul à avoir pu visionné les neuf heures de la série. Il aura fallu attendre presque dix ans pour que la Paramount se décide enfin à sortir du carton cette oeuvre inachevée dans un coffret 3 DVD remarquable (qualité audio / vidéo excellente, livret de 16 pages, documentaires passionnants, spots TV...). Une édition à petit prix, ultime trace laissée par un programme en avance sur son temps, indispensable pour ceux qui voudraient (re)découvrir dans de bonne condition de visionnage cet ovni de la lucarne, précurseur d'un genre télévisuel aujourd'hui en pleine croissance.

Package complet du DVD collector
Package complet du DVD collector
De Bauer à Morgan, en passant par les vénéneuses Desperate Housewives ou les irrécupérables McNamara / Troy, Jim Profit préfigure par conséquent l'avènement et la future sacralisation de tous ces héros franchement déséquilibrés, tiraillés par la nécessité vitale d'extérioriser leurs perversions. Néanmoins, à bien y regarder, si cette production Stephen J. Cannell est effectivement malsaine dans le fond - difficile de s'identifier à un criminel glacial, sa forme demeure largement supportable. La violence est surtout affaire de perpétuels affrontements psychologiques. Soulevée par l'élégant thème musical de monsieur Post - incontournable compositeur de nombreuses séries phares des années 80 (Magnum, 21 Jump Street, Agence tous risques...), la mise en scène construit sans esbroufes visuelles, ni hémoglobines, l'itinéraire d'un individu à part, maître de ses émotions (en possède-t-il vraiment ?), de son entourage et de son cercle familial. Avec un Pasdar, je le répète encore une fois, époustouflant. Mais ce qui semble le plus impressionnant est qu'un pilote et sept épisodes de 42 minutes chacun (dont 5 inédits aux Etats-Unis) auront suffit à Profit pour devenir, grâce aux raisons qui l'ont conduit vers son arrêt prématuré, une véritable légende de la télévision. Sans aucun doute une preuve du caractère particulier de cette entreprise éclatante qui aurait peut-être été trop indigeste à long terme.

"La vie peut ne pas être simple. Elle peut être solitaire. Pleine de gens qu'on pensait connaître mais qu'on ne comprend pas. N'oublions jamais que les défis nous définissent le mieux et que les obstacles éclairent ce dont on est capables. Nous devons accueillir l'adversité et se jeter dans le combat, même si la vie nous rend peu en échange. Il ne faut jamais se donner à moins de 100%. Bien entendu, à la fin de chaque jour de bataille, on se replie dans une obscurité reposante et on se réconforte en entendant ces douces paroles : Bonne nuit".

Visuels © 20th Century Fox