Rome - Saison 1
Séries & TV / Critique - écrit par JC, le 31/12/2005 (Tags : cesar rome episode saison pompee pullo vorenus
Le tour de force de Rome ? Partir d'un point de l'Histoire si énorme qu'il est difficile de savoir par quel bout le prendre et s'en sortir avec le pouce levé.
Avec la fin de Six pieds sous terre (Six Feet Under) et l'arrêt brutal de La Caravane de l'étrange (Carnivàle), la chaîne payante américaine HBO avait besoin d'un nouveau produit d'appel susceptible d'attirer de nouveaux abonnés. Le network a décidé de miser gros sur une fiction historique, Rome, en s'associant avec la RAI et en renouvelant sa collaboration avec la BBC, le couple ayant déjà versé dans ce genre d'entreprise avec les dix épisodes de Frères d'armes (Band of brothers).
Jules César
(© HBO)Les créateurs de Rome se sont attelés à une lourde tâche : adapter un des pans les plus marquants de l'Histoire, à savoir la chute de la République romaine au profit de l'Empire. La première saison s'ouvre sur le retour des Gaules de Jules César après huit années de belligérances (52 avant J.C.). Elle se clôt, douze épisodes plus tard, sur l'assassinat de ce dernier sous les lames d'une coalition de sénateurs mécontents dirigée par son fils adoptif Brutus (15 mars 44 avant J.C.).
Rome ne s'est pas faite en un jour, monter un tel projet non plus. Pour mener à bien la reconstitution, la triplette HBO/BBC/RAI a déboursé près de 110 millions de dollars. Surprise d'entrée. Plutôt bonne. Contrairement aux péplums des années 2000, à l'instar de Troie ou Gladiator, le budget n'a pas fondu en batailles gigantesques. La production a préféré privilégier d'autres aspects comme l'immersion et, plus important dans ce genre spécifique qu'est la série historique, le récit.
Le générique est déjà une formidable accroche. La musique virevoltante accompagne la caméra dans les rues de la ville et toutes deux promènent le téléspectateur jusqu'au début des douze épisodes où costumes et décors sont superbes à chaque fois. Des palais des riches citoyens aux ruelles les plus morbides, tout paraît majestueux ou grouillant, propre ou sale, mais en tout cas vrai.
Atia et Marc Antoine
(© HBO) Au-delà de la forme, c'est le tissu social même de la Ville aux sept collines qui s'avère bien rendu. HBO, la BBC et la RAI sont arrivés à illustrer les dynamiques sociales et politiques parcourant la Rome d'alors avec une oligarchie dans laquelle les sénateurs avides de pouvoir veulent complaire la République, une plèbe au bord de la révolte et des vétérans sans emploi après leurs efforts dans la Légion. Une Cité sans repères au bord de la guerre civile. Un background socio-historique qui par sa qualité arrive à se dégager d'une violence et d'un sexe mis en avant de manière malheureusement trop ostensible et dispensable par HBO dans sa course à l'abonnement.
Concernant la distribution, les membres de la direction du casting ont résolument fait un bon choix en optant pour des comédiens issus principalement du théâtre britannique. Quelque soit les figures qu'ils campent, les acteurs habitent leurs personnages tels que Pompée Magnus, Brutus, Octave ou Caton le jeune. Au-dessus d'eux s'élève quand même Ciaran Hinds. L'interprète de César arrive à donner à son rôle une ambiguïté et un charisme juste impérial, à la hauteur de l'homme décrit par Plutarque et Dion Cassius (La scène de son assassinat restera comme un des moments de violence lyrique les plus inouïs de cette saison). On regrettera néanmoins que certains grands protagonistes aient été rendus assez unidimensionnels par l'écriture du scénario. Comme Atia, la nièce de César, « le personnage qu'on adore détester », soit la mégère quatre étoiles, Marc Antoine (James Purefoy, bien loin de Brando dans Jules César de Mankiewicz) qui a le rôle de la brute rigolarde de base et Cicéron, le célèbre orateur, un brin falot.
Titus Pullo et Lucius Vorenus
(© HBO) Cela fait partie du choix que le trio HBO/BBC/RAI a voulu assumer, celui d'une écriture fictionelle avec quelques écarts « romanesques ». Ainsi, les faits historico-politiques sont scrupuleusement respectés (encore heureux) mais sans tomber dans le piège du « avec une voix-off, on aurait pu faire un docu ». Cette balance bien réglée, entre rigueur historique et fiction assumée, fait la réussite de Rome. Les historiens querelleurs seront peut-être lésés mais la formule Histoire+histoire donne un résultat plus qu'honorable. Elle se traduit par des storylines moins politiques dédiées à des personnages comme le duo de légionnaires plébéiens Lucius Vorénus et Titus Pullo (les seuls centurions cités nommément par César dans ses écrits) ou par l'attribution d'un caractère particulier à certains protagonistes, par exemple en osant faire de Cléopâtre une nymphomane junky. Ces digressions apportent une touche souvent salvatrice et libèrent de la tension entourant l'ensemble des épisodes de la saison. Entre les suicides pour l'honneur, l'inceste pour obtenir des informations et les complots politiques perpétuels, ces instants « soap » font du bien. Et puis bon... Marc Antoine et César ont beaucoup plus de classe que les frères Ewing ! Bref, cela a le mérite d'éclairer des intrigues très noires et d'adoucir une Histoire à la base très dure. Une goutte d'eau dans l'absinthe. Délectable.
Voilà le tour de force de Rome : partir d'un point de l'Histoire si énorme qu'il est difficile de savoir par quel bout le prendre et s'en sortir avec le pouce levé. Il y a certes quelques raccourcis mais avec une orientation délibérément politique soutenue par une reconstitution de toute beauté et des acteurs impeccables, la série prend une envergure bien plus large qu'une banale série dramatique. Une réussite.
Prochaine saison en 2007 sur HBO. Ouvrages sur Rome et biographies de César, Auguste, Cicéron et consorts un peu partout...